Villas Boas : pour en finir avec le dogme de la possession de balle ?
Interrogé dans le cadre d’une thèse, André Villas Boas exprimait en 2009 sa philosophie de jeu. L’entretien a depuis été repris sur The Telegraph en août 2011 pour l’arrivée d’AVB à Chelsea, avant d’être traduite en français dans le SoFoot de septembre 2011 (n°89 ; c’est cette traduction que je reprends ici)
La citation en elle-même n’a rien de vraiment révolutionnaire. Mais le fait qu’elle soit prononcé par un stratège surdoué tel qu’AVB, qui plus est dans un contexte de domination hégémonique du Barça, est un signe qui ne trompe pas. J’y vois l’ébauche théorique d’une remise en question de l’équation « possession de balle = victoire », l’un des éléments qui me frustre le plus dans le football moderne (et qui est à l’origine de mon incurable antipathie à l’égard du football catalan, malgré ma fascination pour Guardiola). Ce sujet sera traité quand j’aurais plus de temps. We are the 40%, et nous ne leur laisserons pas le monopole du beau jeu !
DS: Selon vous, faut-il dominer pour gagner ?
AVB: Pas nécessairement. Au Portugal, nous avons cette idée que le contrôle du match passe par la circulation de balle. Nous voulons voir des grandes équipes qui acculent l’adversaire dans son camp. Mais si vous prenez les équipes anglaises d’avant l’arrivée d’Arsène Wenger, elles vous diront comment contrôler un match sans contrôler la possession, grâce à un football direct qui se concentre sur les seconds ballons.
Certes, le contrôle du ballon est devenu la référence pour les équipes de haut niveau, mais c’est arrivé parce qu’elles ont des joueurs de bien meilleure qualité que les autres équipes, et qu’il serait idiot de ne pas tirer partie de ces qualités individuelles.
Plus loin, AVB ajoute d’ailleurs une réflexion intéressante sur l’usage du ballon, au-delà de la circulation horizontale, synonyme d’une mainmise excessive sur le ballon pour les équipes les plus techniques :
DS: Comment attaque-t-on face à un bloc qui joue très bas ?
AVB: […] Vous devez les provoquer balle au pied, les forcer à s’avancer, à venir sur les côtés, et ouvrir des espaces.Mais peu d’équipes font ça. Je ne comprends pas, d’ailleurs. Il faut utiliser le ballon comme une carotte. Une des idées de Van Gaal repose sur la perpétuelle circulation du ballon, d’un côté à l’autre, jusqu’au moment où, quand vous changez de direction, une brèche s’ouvre pour s’y engouffrer [ndlr : on retrouve ce jeu de passe « de handball » qui m’a tant énervé dans le jeu de Barça, en particulier dans les années 2006-2011] En fait, il provoque l’adversaire avec une circulation horizontale du ballon, jusqu’au moment où ce dernier désespère [ndlr : j’ai pas signé pour ce football…] Mais à mon avis, il faut aussi défier le rival en lui rentrant dedans avec le ballon.
Autrement dit, accepter la possibilité de pouvoir perdre le ballon. On est bien loin des préceptes de Van Gaal, Guardiola ou même Solskjær (j’y reviendrai dans une prochaine causerie). Et pour toutes ces raisons, vous pouvez considérer cette causerie d’AVB comme l’un des Dix Commandements de Football totalitaire…
Illustration de l’efficacité de cette méthode : les résultats de Chelsea sous son management. Tenir le ballon aide au moins à ne pas perdre.
Facile ! L’argument est valable, mais vous savez aussi bien que moi qu’AVB a été globalement lâché par ses joueurs, justement (peut-être) en raisons de ses conceptions tactiques iconoclastes, et n’est donc que partiellement responsable de son échec… Techniquement, je ne crois pas qu’on puisse prouver quoi que ce soit avec cet échec, au contraire. D’ailleurs, pour aller plus loin : http://www.zonalmarking.net/2011/12/19/andre-villas-boas-chelsea-possession/ et cette analyse assez fine du style défensif prôné à ses débuts londoniens : http://www.zonalmarking.net/2011/10/26/chelsea-villas-boas-pressing/
Il est pleinement responsable s’il n’a pas réussi à faire adhérer ses joueurs à un projet de jeu. C’est un peu son boulot de s’adapter un minimum à ses joueurs et d’anticiper la manière dont ils vont appréhender la tactique (aussi iconoclaste soit-elle).
En fait je comprends cette obsession contre la possession. Le foot c’est d’abord un jeu où l’on s’amuse quand on a le ballon. C’est jamais drôle de courir derrière ou de jouer les deuxièmes ballons.
C’est vrai, et c’est là qu’on voit les limites d’un entraîneur sans expérience : à la fois de joueur (même si c’est un argument que je n’apprécie vraiment pas…), et surtout d’entraîneur, ce qui est bien plus préjudiciable. On pourrait même dire que l’expérience en tant qu’Homme a aussi fait défaut, surtout face à des joueurs d’expérience qui ont des responsabilités depuis leurs vingts ans…
Quant à la possession, c’est exactement ça. J’envisage le foot comme un sport qui ne trouve sa beauté que quand il est joué à deux… Quand je lis les déclarations de Xavi, par exemple, sur la nécessaire maîtrise du match (« nous sommes le chef d’orchestre du match, c’est à nous de jouer la partition du spectacle », etc.), je suis outré et dépité. J’ai pas signé pour cette non-guerre.
Et voilà! Une demi-finale aller de LDC Chelsea-Barcelone en guise de magnifique illustration!
Je partage pour beaucoup la vision du football que vous développez dans vos billets. Dans cette interview en particulier, un élément me semble incontournable : le fait d’accepter de perdre le ballon à force de prise de risque, de provocation, de tentative de déséquilibre.
Et ce soir, Barcelone a par moment été une caricature de Barcelone. Combien de périodes de flottement à faire tourner le ballon devant la défense, de droite à gauche, entre milieux et défenseurs pour un résultat stérile ? Alors que je ne cessais d’attendre des Barcelonais qu’ils tentent, qu’ils cherchent à ouvrir des brèches, ils sont restés extrêmement frileux ! On avait l’impression que les joueurs se disaient : « non, je ne peux pas tenter cette passe ou ce décalage si je ne suis pas sûr de le réussir à la perfection ». Donc ils ne tentaient pas. C’est le revers de la médaille, la conséquence directe de l’apprentissage mécanique de toute la philosophie qui est celle du Barca !
Certes ils se sont procurés des occasions, faites d’inspirations géniales (passe au-dessus de la défense d’Iniesta pour Sanchez, louche de Fabregas pour ce même Sanchez…), parce qu’ils restent des footballeurs techniquement supérieurs.
Pourtant hier soir le mythe de la possession de balle s’est heurté à une cruelle réalité. Ce mythe insupportable de la possession de balle comme étant la quintessence du football… Ce que je trouve encore pire, c’est de croire que la possession est la cause principale des victoires d’une équipe comme Barcelone. Alors que la possession pour la possession n’est rien ! Tout se situe ailleurs et vous tentez de le démontrer ici !
Ironie du sort, c’est l’ex-Chelsea d’AVB qui a opposé cette résistance à Barcelone…
Exactement. Inutile de tirer sur l’ambulance, mais Barcelone a prouvé hier les limites de sa philosophie.
Evidemment, on ne pourra leur retirer le nombre presque insolent d’occasions qu’ils se sont procurés… qu’il convient toutefois de relativiser : sur les 24 tirs du Barça, seuls 6 sont cadrés (ajoutons les deux barres) ; et sur ces six, une moitié n’était pas réellement dangereuse, tirée des limites de la surface et facilement repoussée par Cech. Que nous apprennent ces stats ? Que le Barça s’est fait avoir à son propre jeu de frustration, et a logiquement perdu ses moyens et donc le contrôle mental du match. Si le Barça a échoué hier soir, c’est parce qu’ils n’ont pas (plus ?) de plan B. Et si Chelsea a gagné, c’est aussi parce qu’ils ont su éviter ce que toutes les équipes font quand elles doivent courir après le ballon : à savoir, ne pas courir après le ballon, justement.
A ce titre, c’est justement pour ça que j’aime autant regarder l’Athletic Bilbao de Bielsa, qui combine tout ce qu’il y a de « beau » dans le football et propose en ce sens un football composite, fait de « plan B » permanents : triangulations dans les petits espaces, long ballons avec Llorente en pivot, et gestion des contres absolument démente. Chose que le Barça se refuse d’ailleurs à faire, et qui a pourtant montré ses vertus hier soir sur le but de Drogba. Un long ballon, un centre, un but : le football, c’est aussi ça. Et tout repose sur l’élasticité du bloc-équipe, chose que ne sait plus faire un Barça à l’idéologie trop compacte.
C’est les limites du football sans attaquant. Même si t’arrives à t’en passer en dominant le match, en pressant haut et en ayant des milieux capables de marquer des buts, tu te rends compte que le Bayern et Chelsea gagnent sur des buts d’attaquants. A la 94ème, quand Pedro frappe sur le poteau, le Barça aurait plus que jamais eu besoin d’un renard pour marquer un vieux but de raccroc sur le 2e ballon.