S’entraîner en réalité virtuelle : l’exemple de la NBA
Le travail vidéo au service du football ? Rien de neuf. Même si l’exercice – majoritairement passif – irrite encore certains joueurs, et nécessite beaucoup de persuasion de la part des entraîneurs dès qu’il s’éternise un peu, il reste bien intégré dans les structures des clubs. Deux axes mènent la réflexion : ce qu’on a fait, bien ou mal, et ce que le futur adversaire fait. Si le second cas nécessite d’employer une personne dédiée à la tâche pour repérer des situations importantes et les isoler (sauf à pouvoir travailler vingt heures par jour façon Marcelo Bielsa), le premier peut rapidement ressembler aux débriefs corrosifs de Raphaëlle Ricci dans la Star Academy.
Rater son match, c’est la garantie d’être repris a posteriori, et en quelque sorte pointé du doigt. Si un joueur intelligent se sera rendu compte de ses erreurs sur le moment, il pourra alors les analyser à la troisième personne et dans le contexte collectif. Même si la psychologie incite les entraîneurs à montrer des actions positives, parfois autant par vraie satisfaction que comme contrepoids avant les reproches qui viendront inévitablement par la suite, ce travail vidéo a un défaut : il n’apprend pas toujours beaucoup, verbalise mais rabâche. Et ne s’attache que rarement à ce qu’un joueur précis doit travailler en priorité, autant par choix (ne pas exposer devant le groupe) que contrainte (cela prendrait des heures).
La NBA, laboratoire de l’entraînement individualisé
Comme ils ne sont que cinq à jouer en même temps, quinze maximum par franchise et avec chacun des rôles et statuts différents, les basketteurs NBA sont plus faciles à faire travailler individuellement. C’est aussi la nature d’une discipline qui, comme les trois autres sports majeurs aux États-Unis, est marquée par une intersaison de plus de quatre mois, même si la spécialisation « in game » y est moins grande. Chaque joueur s’entraîne de son côté pour progresser, est libre de solliciter n’importe quelle aide à condition de pouvoir se l’offrir (une semaine pour apprendre à jouer poste bas avec Hakeem Olajuwon coûte 50.000 euros) et profite des nombreux employés de la franchise une fois que la saison reprend. Ces derniers, en majorités jeunes, très diplômés et qui peuvent monter en grade s’ils sont efficaces – comme quatre autres coaches, Erik Spoelstra, double champion avec Miami, a débuté comme « video coordinator » – permettent au sport d’être en constante évolution. La dernière : la réalité virtuelle.
Ci-dessus : Marcin Gortat, pivot des Washington Wizards, s’initie lui aussi à la réalité virtuelle à l’entraînement, avec l’aide de l’analyste vidéo Aaron Taul
Évolution logique d’une ligue où plusieurs joueurs étudient en temps réel les actions du match dès qu’ils sortent du terrain sur iPad, l’utilisation de la réalité virtuelle dans le coaching débute à peine. Le premier cas connu connu date d’il y a quelques semaines et concerne Andre Drummond. Le jeune pivot de Detroit, nommé All Star la saison dernière, n’arrive pas à rentrer ses lancers francs. Cette phase statique, similaire aux coups de pieds arrêtés directs au football (moins la variable gardien), se perfectionne à travers l’acquisition d’une bonne technique – la mécanique de shoot –, la répétition – l’acquisition d’une routine immuable –, et un travail psychologique – ne pas ressentir la pression. Pour celui qui a la pire moyenne en carrière de l’histoire (38 %, 35% la saison dernière), le problème semble psychologique puisque son entraîneur, Stan Van Gundy, estime qu’il est à 65% de réussite à l’entraînement. Un chiffre qui reste modeste mais éviterait des stratégies de fautes volontaires où l’équipe adverse mise sur son échec (mal vues car nuisant au spectacle, elles ont été encadrées mais restent largement possibles). C’est pour que ce « niveau réel supposé » se traduise en match qu’intervient la réalité virtuelle.
La réalité virtuelle, pour progresser en apprivoisant la réussite
Comment ce concept peut-il intervenir dans le cadre sportif ? De manière finalement très simple : Andre Drummond enfile un casque de réalité virtuelle et se regarde réussir des lancers francs. Soit à la première personne, soit en tant que spectateur, avec la possibilité d’étudier la chose sous différents angles.
« Je fais ça trois fois par semaine, explique-t-il. Il y a un système au centre d’entraînement et j’en ai un chez moi. Après l’entraînement, je regarde ça ici ou à la maison. Ce ne sont que des tirs réussis donc je passe mon temps à me voir prendre le même shoot, encore et encore, et quand je suis sur le parquet ça devient une seconde nature. Je sais que je ne serai pas capable de tous les mettre, et c’est quelque chose dont j’ai vraiment dû me convaincre. Mais au plus je prends le même tir, au plus j’ai de chances de le réussir. »
Expérience immersive, où la présence du son est essentielle, l’exercice n’est pas pour autant rigolo. La répétition, façon dressage d’animal, ce n’est généralement pas ce que préfèrent les sportifs, surtout dans une discipline spectaculaire et plus fun que laborieuse. L’intéressé continue :
« Vous pouvez demander aux assistants (qui encadraient les débuts) : les premières semaines, c’était un enfer. Je n’avais jamais fait de réalité virtuelle et d’accepter le fait que j’avais besoin d’aide dans ce domaine de mon jeu était difficile. Mais quand j’ai fini par me faire à l’idée d’entraîner mon cerveau à se concentrer sur une chose, ça a plutôt marché. »
À l’heure où nous écrivons ces lignes, sur un échantillon certes réduit, il tourne à 48% de réussite, le meilleur chiffre de sa carrière…
Une telle application peut-elle se transposer au football ? Drummond utilises certes ses mains, mais le constat est plus psychologique que technique. Quand il dit : « J’ai trouvé quelque chose qui me calme car avant j’en ratais un, je me tendais et manquais le suivant », impossible de ne pas penser aux tireurs de penalties, peu en réussite cette saison dans le football européen et englués pour certains dans des séries négatives. Les coups francs, qui ne sont pas souvent cadrés, peuvent aussi être perfectionnés. Car même si l’attitude du gardien n’est pas forcément prévisible, on peut partir du principe que celui-ci sera incapable de stopper une balle parfaitement placée. Sans dénaturer le travail de gardiens de mieux en mieux préparés, leur taux de réussite serait bien plus bas sans toute une flopée de tirs à mi-hauteur quelque part entre le milieu du but et le poteau…
Voir le jeu autrement pour améliorer son intelligence situationnelle
Mais on peut aller plus loin et intégrer le mouvement : en NFL, le quaterback Carson Palmer, l’un des trois joueurs à avoir reçu des voix pour le trophée de MVP 2015, a intégré l’entraînement en réalité virtuelle pour améliorer sa lecture des situations de jeu. À 35 ans et après une grave blessure, il a réussi d’assez loin la meilleure saison de sa carrière, Les universités de Texas Tech et Stanford ont également franchi le pas, les quaterbacks de Texas Tech visualisant avec enthousiasme 1500 situations de jeu lors des trois semaines précédant la saison. Même les postes plus bruts, où la puissance joue un grand rôle, sont intégrés à la démarche. « C’est la meilleure chose pour le développement d’un joueur que j’aie vu, en dehors de l’entraînement classique », explique le coordinateur offensif de Stanford, Mike Bloomgren, dont le but est que tout le monde fonctionne en harmonie.
Si l’usage massif des statistiques dans le football peut se heurter à la difficulté de trouver les bons indicateurs pour quantifier ce sport, l’implantation de la réalité virtuelle n’a a priori pas de barrières. Comment un défenseur qui vient de se coltiner Arjen Robben lors d’un match aller pourrait-il mieux préparer le match retour qu’en voyant, dans son coin, les actions sélectionnées en amont par le staff ? Travail individualisé, visualisation détaillée et beaucoup plus immersive qu’une séance vidéo classique, egos préservés par le fait d’être le seul à voir les erreurs et création de ses propres réponses aux problèmes : sur le papier, et à condition de continuer le travail de groupe qui garde le collectif uni, les avantages sont nombreux. On pourrait ainsi imaginer une multiplication des échanges joueur-entraîneur, le premier pouvant contribuer de manière beaucoup plus concrète à l’élaboration de la stratégie. « Si les joueurs font 30 % de tout ce que vous avez expliqué, vous devez être content », a un jour dit Carlo Ancelotti. Et s’il n’y avait plus besoin de leur expliquer, en tout cas plus autant ?
Dans un sport riche, où la différence à très haut niveau se fait souvent sur la capacité à faire le bon choix au bon moment, cadrer l’improvisation est un luxe. Et payer des spécialistes vidéo, plus bénéfique à l’économie du football que d’engraisser des agents surpuissants.
Intéressant article. La première utilisation de ce genre de techno, ça ne serait pas les simulateurs de formule 1, voire tout simplement les jeux vidéo de F1 ? On sait que les rookies arrivent en connaissant par coeur les circuits, les points de freinage, grâce à ces jeux ultra-réalistes.
En football, j’imagine plus cette technologie appliquée aux coups-de pieds arrêtés, qui se rapprochent plus des lancers-francs, comme c’est dit, mais surtout des snaps de foot US que les actions de jeu.
Ou alors on pourrait imaginer une combinaison de réalité virtuelle et de la machine à passes du Borussia Dortmund : au lieu que les signaux soient donnés par des lampes s’allumant et s’éteignant, on peut imaginer un casque de réalité virtuelle et des images synthétiques avec des joueurs venant au pressing et des coéquipiers plus ou moins démarqués.
Sans vérifier, je pense effectivement que les simulateurs de F1 sont pionniers. Comme tu le dis, les nouveaux connaissent les circuits par coeur et ont lié cet apprentissage visuel avec une habitude de faire les mouvements sur le volant. Le meilleur exemple est la GT Academy, où des joueurs de Gran Turismo gagnaient le droit de piloter une Nissan course, et qui a sorti Lucas Ordonez, qui a fait deux podiums aux 24h du Mans dans sa catégorie. Tous n’ont pas aussi bien réussi mais globalement ils ont « surperformé » pour des amateurs.
Pour le football, tout est à imaginer et je pense qu’on a encore un peu de temps avant qu’un système de VR soit utilisé sur des actions de jeu. L’étape la plus simple concerne en effet les coups de pieds arrêtés parce qu’il y a un format de combinaison mais je pense qu’on peut assez vite stimuler l’intelligence de jeu des footballeurs. Si on montre à Lucas ce qui se passe autour de lui sur une action où il n’a pas pris l’information, ça peut l’aider à lever la tête. On serait alors dans de la vidéo individualisée et immersive, qui n’exploiterait pas tout le potentiel du truc mais pourrait débloquer des mécanismes de pensée (« ah, il y a constamment un gars qui prend l’axe quand je pars côté, ça peut valoir le coup d’essayer d’attirer une prise à deux et surveiller cette zone »). Ce que tu dis sur Dortmund serait sans doute une troisième étape, celle qui arrive en NFL, avec prise en compte de l’adversaire. Je ne sais pas à quel point on pourrait rapidement personnaliser la prise en compte des actions-type d’un adversaire, mais un joueur sera en tout cas encore plus concentré sur son exercice s’il croit être en situation de match plutôt qu’à côté de plots et mannequins.