« Que des numéro 6 dans ma team » : Guardiola, le football sans attaquant
[Avant-propos : cet article a été initialement rédigé pour les Cahiers du Foot. Merci à Jérôme Latta de m’avoir offert cette tribune !]
Éloge du milieu, sacre du passeur, avènement du 3-7-0: le guardiolisme est une révolution pour le jeu. Tout a basculé en décembre, contre Santos…
Le triomphe messianique du Ballon d’Or 2011 et son vrai-faux suspens auront quelque peu occulté la victoire de son « géniteur », élu sans plus de surprise entraîneur de l’année. Avec cinq trophées dans la poche, Guardiola aura clairement survolé ces deux dernières demi-saisons. Et c’est auréolé d’un dernier titre de Champion du monde des clubs, obtenu aux dépens du Santos en décembre dernier, que le Catalan est allé chercher sa récompense. C’est d’ailleurs lors de ce match qu’il avait dévoilé l’étendue d’un génie tactique qu’on lui ignorait jusque-là… voire qu’on lui niait, diront certains.
Certes, tous les observateurs s’accordent à reconnaître son immense talent de stratège. Il aura malgré tout fallu attendre ses victoires – tant tactiques que psychologiques – sur le Special One pour légitimer enfin cette reconnaissance médiatique et populaire. Guardiola restait jusqu’alors, dans l’inconscient collectif, un simple chef d’orchestre, humain parmi les surhumains. D’aucuns lui reprochaient même de ne pas savoir prendre de risques, ne lui reconnaissant comme seul mérite que de s’aligner sur ses illustres prédécesseurs, Cruyff en tête, en calquant un 4-3-3 ayant largement prouvé son efficacité. Ses paris contre Santos, risqués mais particulièrement payants, sont venus prouver le contraire.
Et c’est son adversaire d’un jour qui en parle le mieux, avec une humilité presque déroutante:
« Nous avons appris beaucoup de choses aujourd’hui. Et je pense que vous aussi [journalistes, mais aussi spectateurs], avez appris quelque chose »
, commentait Muricy Ramalho après-match (O Globo). De la bouche d’un des meilleurs entraîneurs brésiliens actuels, le compliment a force d’autorité. On regrettera au passage l’absence totale de couverture journalistique en France sur ce sujet, ceux-ci préférant se focaliser sur un stérile duel Messi-Neymar, qui n’aura d’ailleurs pas eu lieu.
Une lacune coupable, tant les enseignements de ce match méritent d’être discutés. Sur celui-ci, Guardiola est tout simplement passé dans une autre dimension, transfigurant les tactiques du football moderne et préfigurant (peut-être) celles du football à venir. Un surhumain peut en cacher un autre… Une raison amplement suffisante pour revenir sur le système de jeu mis en place pour ce match; non pas en commentant le match lui-même (ceci n’est pas une analyse tactique), mais en décryptant ce qu’il raconte de Guardiola, du « guardiolisme », du football moderne et de celui qui s’annonce très certainement dans les années à venir.
Faites entrer l’accusé
Muricy Ramalho a décidément le sens de la formule quand il s’agit de souligner à ses pairs l’ampleur de la révolution à laquelle il vient d’assister:
« Si vous jouez au Brésil [avec la formation proposée par Guardiola], ça se termine en enquête policière! »
Avouez qu’on entend rarement de tels propos en conférence d’après-match… De quoi Guardiola est-il accusé? D’avoir joué avec une formation supposément ultra-défensive… ou plutôt anti-offensive:
« Après avoir perdu Sanchez et Villa [sur blessure], ils ont mis un milieu supplémentaire. Ils ont joué en 3-7-0, une formation inconcevable au Brésil. »
3-7-0: le mot est lâché. Une formation inédite, probablement jamais testée à ce niveau de jeu – sinon dans Football Manager [testée avec Arsenal en novembre, analyse à venir lundi sur ce blog]. Une formation surtout considérée comme hérétique voire impie, puisque sans attaquants « purs », qu’ils soient ailiers ou numéro 9. Certes, Villa et Affelay étaient indisponibles… Mais Guardiola aurait pu compter sur les ailiers Pedro ou Cuenca, encore jeunes mais ayant déjà fait leurs preuves. Sanchez était à leurs côtés sur le banc, mais considéré comme inapte à jouer.
Pour autant, l’accusation est-elle valable ? Sous-entendu: jouer sans attaquant est-il un sacrilège contre le beau football, qui ne pourrait décemment qu’être porté sur l’attaque, c’est-à-dire compter dans ses rangs de véritables attaquants? Les supporters blaugranas préfèrent s’en défendre grâce à une inversion arithmétique aussi subtile que leur supportérisme :
« Selon Muricy Ramalho, Pep a joué en « 3-7-0 ». En un sens, c’était vrai, mais l’on pourrait rétorquer que Barcelone a joué en 3-0-7 [autrement plus flatteur, donc], bombardant la défense du Santos sous une litanie d’appels en profondeur et de passes millimétrées. »
Ils n’ont pas tout à fait tort… ni tout à fait raison. Jugez vous-mêmes: Alves, un arrière latéral (certes brésilien, mais quand même) repositionné ailier droit. Messi, un ailier de formation repositionné « faux numéro 9 » voire milieu relayeur, ce qui n’a évidemment plus rien de surprenant. Mais surtout, pas moins de cinq milieux essentiellement passeurs et surtout ultra-créatifs (un défensif, deux relayeurs et deux offensifs, pour peu que cette typologie siée aux talents catalans) : voilà l’étrange composition de cette « non-attaque », qui aura pourtant permis au Barça d’infliger un cinglant 4-0 à un Santos dépassé – qui l’aura d’ailleurs bien aidé en défense :
[youtube http://www.youtube.com/watch?v=jRxhnuqXDwU]
Muricy Ramalho et ses joueurs n’étaient d’ailleurs pas les seuls largués par cette formation. Qu’il s’agisse d’un 3-7-0 ou d’un 3-6-1-0, si l’on tient compte du profil d’origine de Messi, n’est finalement pas la vraie question. Peu importent les chiffres, les spectateurs de cette finale ont assisté à un bouleversement silencieux, qui ne rentre pas dans les grilles d’analyse traditionnelles. Les médias sportifs auront eux aussi été suffisamment déconcertés par cette formation pour ne pas réussir à la représenter correctement. Qu’il s’agisse de L’Équipe ou du site officiel des Blaugranas, c’est encore et toujours le traditionnel 4-3-3 catalan que l’on retrouve dessiné sur les schémas tactiques, avec les énormités de positionnement que cela implique (une ligne d’attaque Messi-Fabregas-Iniesta?)
L’éther du milieu
Pour leur défense, cette formation tenait clairement de l’exceptionnel… ou presque. À bien y regarder, Guardiola avait déjà amorcé cette révolution, par bribes, lors de matches précédents. D’abord en osant la défense à trois au cours de la saison, et en lançant un 3-4-3 d’exception contre Madrid, une petite semaine avant le match contre Santos. Ce 3-4-3 « nirvana », comme l’a baptisé e-foot, contenait en germe les logiques inhérentes au 3-7-0. Les blessures de Villa et Sanchez allaient obliger Guardiola à sortir de son chapeau ce coup de folie d’une formation sans attaquant… qu’il avait déjà expérimentée quelques semaines auparavant.
Comme le remarque le blog de tactique Zonal Marking dans son excellente analyse de la finale contre Santos, Guardiola n’a joué qu’un seul match cette saison en se passant d’attaquant « pur » (hors Messi qui joue dans son propre registre), c’est-à-dire sans Pedro, Villa ou Alexis Sanchez :
« Habituellement, Guardiola joue avec au moins un vrai attaquant dans son trio d’attaque, afin d’étirer le jeu pour permettre à Messi de descendre très bas sans trop congestionner le milieu »
, explique l’auteur. Cette unique tentative ne s’était d’ailleurs pas franchement avérée concluante, loin s’en faut. C’était en novembre, contre l’Athletic Bilbao de Bielsa (l’un de ses mentors), lors d’un match nul particulièrement difficile pour le Barça. À l’époque, l’égalisation n’avait été arrachée qu’en fin de match… grâce notamment aux entrées de Sanchez et Villa. Pourtant, le tacticien avait considéré ce match comme « un hymne au football », rien de moins. Souhaitait-il retrouver de telles sensations, cette fois sous les lumières d’une finale de gala? Face aux talents de Santos, un tel pari était autrement plus osé.
Osé, mais pas fou. Car Guardiola ne faisait ici qu’appliquer les préceptes éprouvés quelques années auparavant par Spalletti et sa flamboyante Roma de 2007/2008. Là encore, les blessures étaient à l’origine de ce qui deviendrait l’une des innovations tactiques les plus remarquables des années 2000 – d’ailleurs nommée cinquième « équipe de la décennie », en termes de qualités stratégiques, par Zonal Marking. En repositionnant Totti au poste de milieu offensif un peu particulier (ou « faux numéro 9 »), sans attaquant devant lui, Spalletti « inventait » le 4-6-0 qui allait inspirer les plus grandes équipes dans les années suivantes…
Zonal Marking l’affirme sans ambages:
« Ce système sera l’un des plus influents de la décennie. Qu’il soit adopté et amélioré par les équipes vainqueurs de la Ligue des Champions les années suivantes (Manchester United et Barcelone) illustre le potentiel du 4-6-0, qui pourrait dominer le football dans les dix prochaines années. »
L’un des meilleurs exemples? Le PSG sans attaquants (ni Gameiro ni Hoarau) concocté il y a dix jours par Ancelotti contre Toulouse, à la surprise des médias français, définitivement largués dès qu’il s’agit de tactique. Les avantages d’une formation sans attaquant: le jeu entre les lignes est ici exacerbé, et la liberté spatiale offerte aux milieux multiplie leurs options offensives.
Dans ce contexte de popularisation progressive, jouer sans attaquant pur n’apparaît donc pas « si » révolutionnaire, qui plus est avec des talents offensifs tels que Messi ou Iniesta… Mais là où Guardiola innove, c’est en paraphant sa formation de sa patte unique et iconoclaste. Si le 4-6-0 de Spalletti était une formation « réactive », fruit d’un maître-tacticien confronté aux blessures, le 3-7-0 de Guardiola apparaît en réalité comme la déclinaison ultime et volontariste du « guardiolisme »: une philosophie de jeu fondée sur l’érection du milieu de terrain comme représentant idéal, voire unique, du footballeur par excellence.
L’attaque de l’homme du milieu
En effet, le plus frappant dans ce 3-7-0 n’est pas tant l’absence de véritables attaquants que l’omniprésence de passeurs surdoués. Inutile de revenir sur les ratios de passes réussis de Thiago Alcantara ou Xaviniesta. On se contentera de rappeler que les six meilleurs passeurs décisifs actuels de l’équipe en championnat se nomment, dans l’ordre: Messi (13), Alves (10), Xavi (6), Cesc (5), Iniesta (4) et Thiago (3 – ex-aequo)… [ 8] Difficile, au vu de ces chiffres, de taxer cette équipe de « défensive ». Ajoutez à cela Busquets, métronome de talent et prototype par excellence du milieu moderne [lire « Busquets takes ‘modern centre-half’ role a little further » sur Zonal Marking], et vous aurez devant vous l’équipe idéale pour à contrôler le milieu comme aucune autre auparavant.
Guardiola l’expliquait parfaitement lors de la conférence d’après-match, s’agaçant au passage des suspicions relatives à sa formation:
« Interrogé pour savoir s’il avait ou non adopté une formation en 3-7-0, Guardiola a haussé les épaules: ‘Je ne pense pas que nous ayons joué en 3-7-0. C’est simplement notre manière de jouer. Nous essayons de contrôler le milieu et d’exploiter l’espace’. »
Et il a tout a fait raison. Le Barça a fait du Barça: pressing haut, contrôle du ballon avec passes horizontales ou vers l’arrière en amont des phases offensives, appels et contre-appels, triangulations à l’approche de la surface, etc. Des choses désormais bien connues que nous ne commenterons pas davantage ici. Car ce n’est pas tant le jeu du Barça qui mérite ici d’être analysé, mais ce qu’indiquent les choix de Guardiola sur sa philosophie.
Cette dernière citation est en effet particulièrement représentative de l’état d’esprit de Guardiola, et de sa manière d’envisager le football. L’homme est presque un milieu de terrain « avant » d’être un footballeur, et peut-être même avant d’être un entraîneur. Il confessait ainsi sa fascination débordante pour ce profil de joueur, dans une interview donnée à la FIFA à la suite de la rencontre contre Santos:
« Le milieu de terrain est un élément crucial de chaque équipe. Les milieux de terrain sont des joueurs intelligents qui doivent réfléchir à l’équipe comme un ensemble. Ce sont des joueurs désintéressés qui comprennent le jeu mieux que personne… »
Un éloge conclu par cette déclaration sans équivoque:
« plus vous avez de milieux de terrain, plus il est facile de les replacer dans d’autres positions. C’est comme ça qu’ils deviennent polyvalents, et c’est ce qui nous aide à avoir des effectifs de taille limitée, mais qui sont malgré tout en mesure de nous offrir davantage d’options [tactiques] »
À titre d’exemple, Guardiola a déjà fait jouer pas moins de dix joueurs sur l’aile gauche cette saison (Villa, Alexis Sanchez, Afellay, Iniesta, Pedro, Fabregas, Adriano, Cuenca, Deulofeu et Thiago – source : Zonal Marking). Ajoutez à cela la polyvalence de Busquets et Mascherano, milieux reconvertibles en défense, et l’on se prend à rêver d’une formation qui ne compterait en ses rangs (presque) que des milieux de formation.
L’œuvre de Guardiola
On retrouve, dans ce système de jeu, les préceptes désormais bien connus de l’entraîneur, mais ici exacerbés à l’extrême en densifiant au maximum le rond central:
« Ce qui est fondamental, c’est de bien occuper le terrain, avoir une équipe courte, qui ait sa ligne de défense et sa ligne d’attaque séparée de pas plus de 25 mètres, et qu’aucun défenseur ne soit occupé à marquer un adversaire qui n’existe pas »
, expliquait en 2006 l’apprenti Guardiola à son maître Biesla (So Foot). Or, comment mieux rapprocher ses lignes d’attaque et de défense, qu’en se privant d’attaquant? (l’autre option étant encore irréalisable…) On imagine Guardiola tenter un jour d’aller plus loin : avec un 2-8-0? Et pourquoi pas carrément un 0-10-0 en pariant sur l’intelligence de Busquets et Mascherano ?
Au passage, Guardiola avait déjà annoncé cette évolution lors du dernier match de la saison dernière (la Supercoupe UEFA en août dernier), en finissant le match avec six milieux de formation dans l’équipe, dont ces deux joueurs en défense centrale, complétés par Messi en faux numéro 9. À l’époque, les observateurs s’interrogeaient sur la pertinence du recrutement de Fabregas, alors que Barcelone semblait avoir désespérément besoin d’un défenseur central, secteur le moins sûr de son effectif, au contraire d’un milieu largement fourni en talents créatifs. Cette contrainte, Guardiola en a fait une force catalytique afin de façonner une équipe qui réponde à sa philosophie: en passant à trois défenseurs (une formation considérée comme caduque dans les années 2000 – lire sur Zonal Marking), puis en « niant » son surplus de milieu en les mettant tous sur le terrain.
Autre particularisme de cette formation, le très faible nombre de joueurs de couloir, puisque seul Alves occupe ce rôle (Abidal étant ici positionné défenseur central, et ne participant que très peu aux phases offensives de son équipe). C’est peut-être la seule dérogation aux préceptes de Guardiola, qui clamait ainsi crânement, alors qu’il n’était pas encore entraîneur:
« Moi, je choisis d’occuper les côtés parce que c’est de ces endroits que proviennent la majorité des situations dangereuses. Le contraire signifie centraliser le jeu. Si un entraîneur veut une équipe qui prenne le jeu à son compte, il doit positionner au moins deux joueurs par secteur. » (So Foot)
Au vu de cette déclaration, l’absence de joueur de couloir à gauche et d’arrière latéral à droite apparaît comme une véritable redéfinition personnelle.
Car à force de mener le Barça sur les cimes du monde, Guardiola s’est transformé. Il a fini par admettre qu’il n’était pas seulement entraîneur d’une équipe surdouée, malgré son insistance à se mettre en retrait pour laisser le crédit de la victoire à ses joueurs. Docteur Pep et Mister Guardiola: l’homme a compris qu’il était le créateur de son œuvre, et que sa matière première était ses joueurs, véritables pantins modelés selon son idéalisme fanatique. Et cette œuvre se doit d’atteindre la perfection qui l’obsède, notamment dans la monopolisation jusqu’au-boutiste du ballon:
« Je ne place jamais mes joueurs avec l’idée d’attaquer en utilisant la contre-attaque [qu’il refuse presque contre Santos]. Pour moi, c’est avant tout la possession. Si on peut garder le ballon, pourquoi le rendre? »
Les statistiques contre Santos, dignes d’un score de président africain mais qui ne nous étonnent même plus, témoignent de l’impossibilité des Brésiliens à se dépêtrer du filet catalan au milieu.
Le règne des passeurs
C’est là la grande révolution de Guardiola sur ce match, ou pour être plus précis: l’aboutissement d’une évolution ultime du jeu qu’il conduit maintenant depuis des années. À l’inverse, le 4-6-0 de la Roma, d’une efficacité redoutable en contre, ou les tentatives de « faux numéro 9 » initiées par Manchester avec Rooney (et peut-être par Paris dans les prochaines semaines), étaient toutes vouées à contrer rapidement, ou du moins l’acceptaient comme une possibilité de jeu justifiée. Plus qu’une formation « sans » attaquant, c’est-à-dire une formation « par défaut », le 3-7-0 de Guardiola est donc une formation dédiée à la gloire des milieux de terrain polyvalents. Plus il y en a, mieux c’est, semble dire Guardiola.
Dans cette philosophie, on décèle son obsession pour un profil de joueur plus complet, sans poste réellement défini, capable de tout faire: défendre, décrocher, passer, dribbler, échapper au pressing, attaquer. Un idéal footballistique que Guardiola a insufflé dans son fils spirituel, Xavi, probablement le plus grand joueur de son effectif, du moins son apôtre direct. En ce sens, son pari contre Santos apparaît avec le recul comme la plus belle définition de ce qu’est le « guardiolisme », le règne des passeurs – d’ailleurs considéré comme la plus grande évolution de la décennie par Zonal Marking. Le temps d’un match, Guardiola a façonné son équipe à son image, ou plutôt à l’image de ses obsessions. Lui qui avait déjà créé le « registre Messi » (selon l’excellente définition de e-foot), a étendu ses préceptes à l’échelle d’un secteur de jeu entier: c’est le « paradigme Guardiola« , pour reprendre la formule de l’un de ses adeptes (paradigmaguardiola).
Mais il convient ici de donner une part du mérite à Ramalho, qui aura permis à Guardiola d’exprimer son ambition comme jamais. Le Brésilien aurait pu contrer le Barça en refusant de jouer, seule manière actuelle de leur poser problème au milieu. Au contraire, Ramalho a exigé de Ganso qu’il ne participe pas aux tâches défensives et reste positionné haut sur le terrain. De même, le Santos jouait en 3-5-2 (certains y verront plutôt un 5-3-2), une tactique évidemment particulièrement risquée contre Barcelone, et qu’aucun sélectionneur raisonné n’oserait tenter en finale de Coupe. Le match aurait très certainement pris un tournant différent si Ramalho avait exigé de Ganso qu’il descende d’un cran, s’il avait densifié le milieu avec un 3-6-1, ou peut-être même s’il avait décidé de peser sur la défense en densifiant son attaque, afin d’obliger Busquets à descendre aider ses défenseurs… Bien évidemment, les quelques erreurs défensives préjudiciables des défenseurs Brésiliens n’ont pas aidé cette équipe méritante, mais tout simplement acculée par un autre football.
Ce match ne sera pas un one-shot, ne peut pas être un one-shot, ne doit pas être un one-shot. Parce qu’il est l’essence même de son géniteur, ce Barça-là est voué à évoluer dans cette direction. Et parce que cette formation a des années d’avance sur le football actuel, qui en est encore à expérimenter le « registre Messi » avec ses jeunes pousses (ou ses moins jeunes: ironie du sort, c’est aujourd’hui la Roma qui s’inspire le mieux des Blaugranas – lire sur Zonal Marking – la boucle est bouclée…), ce Barça-là est voué à imposer son dogme pendant encore quelques années, pour le meilleur et pour le pire. À moins que les logiques comptables ne viennent avorter cette révolution… car ce Barça-là n’a jamais semblé aussi fragile, relégué à cinq points du Real après avoir joué les bulldozers des années durant.
Nul n’est prophète en son pays, et Guardiola le sait mieux que personne. Il vantait ainsi l’innovation tactique proposée par Bielsa avec l’Argentine lors de la Coupe du monde 2002:
« On vit dans un monde où si tu gagnes tu es bon, et si tu perds, tant pis si tu as essayé, peu importe que tu aies eu le ballon, que l’équipe ait été parfaitement organisée, et que tu aies parié sur un 3-4-3 comme l’a fait Bielsa. Tu perds et on dit que c’est un fiasco. Moi, je le vois d’une autre façon. » (So Foot)
À la tête d’une des meilleures équipes du monde, les bras lourds de trophées, Guardiola a changé de statut autant que de dimension: il n’est plus là pour gagner, mais pour parier. Parier sur une formation, un registre, une philosophie de jeu. Parier pour forcer le destin du football moderne, surtout. Et évangéliser le reste du monde, quitte à prêcher dans le désert.
C est du tres haut niveau.